Accueil > La revue « Ou Païs Mentounasc » de la SAHM > Année 2010 - « Ou Païs Mentounasc » > N°134 Juin 2010 Spécial CASTELLAR

Castellar - village fortifié ?
Comment répondre à cette question en l’absence d’archives, de témoignages, de vestiges et alors que pas la moindre fouille n’ait jamais été entreprise ? Certes, les armoiries du village comportent une tour symbolique.
Mais est-ce là allusion à un passé réel ou simple coquetterie sans fondement ?
On a souligné à juste titre qu’un des facteurs du « déperchement et de la décision de 1435 de construire sur la colline St Sébastien une nouvelle agglomération d’accès plus aisé avait été une relative amélioration de la sécurité et donc un moindre impératif de défense. Mais on peut être sûr que le principe de précaution (amplement justifié par la suite des évènements) et une solide tradition, ont amené les seigneurs et les »hommes" qui allaient établir l’infrastructure du nouveau village à ne pas négliger cet aspect du problème. Pour essayer de reconstituer la logique qui a dicté leurs choix, considérons successivement le site puis le noyau primitif des premiers habitants.
Le plateau St Sébastien constitue bien un site défensif naturel répondant aux exigences et aux habitudes séculaires d’inaccessibilité optimale tempérée par les besoins du quotidien. A l’Est comme à l’Ouest, deux pentes prononcées sont de nature à compliquer et ralentir tout mouvement hostile d’accès au refuge. Par contre, les rebords Sud et Nord, tels au moins que la photo-satellite contemporaine les révèle, pouvaient faire problème.
Au Sud, la pente, au long de l’ancien sentier de Menton, est bien moins raide, permettant donc un accès aisé au plateau et ce à partir justement du « couloir littoral » - véritable boulevard de tous les dangers en provenance de l’Est, de l’Ouest ou de la mer. Il était donc normal d’avoir à prévoir là un dispositif de dissuasion ou du moins de surveillance.
La tradition orale situe quelque part aux abords de l’ancien sentier muletier un mystérieux lieu-dit dénommé « Porte Brûlée ». La suggestion est claire mais en l’absence de toute trace sur le terrain on reste dans le domaine du mythe. Une preuve plus convaincante de l’hypothèse avancée ici est fournie par une construction, (incluse aujourd’hui dans une villa) visiblement ancienne, robuste et répondant à des règles de construction plus « seigneuriales » que populaires : épaisseur du bâti, taille des pierres, voûtes. C’est dans ce quartier que fut découverte la plaque de marbre blanc portant les armoiries des Lascaris : on semble bien être là, comme autour du Bastion, dans une ancienne zone d’occupation seigneuriale.
Au Nord, justement en contre-bas du noyau seigneurial, dans une zone d’importance majeure (accès à l’église St Sébastien, à la Font Vieilh, au Vieux Castellar et aux terres agricoles mais aussi voie d’arrivée en provenance de Vintimille et de Sospel) sur l’actuel parking St Antoine donc, le hasard a peut-être permis de reconstituer en partie la réalité topographique primitive. L’Observation actuelle – à partir, par exemple de la Croix – révèle en effet une incongruité logique : l’« isthme » actuel unissant la chapelle St Antoine à St Sébastien gomme l’exigence d’inaccessibilité au plateau là même où l’on est en droit de la voir respectée le plus complètement.
Or, une conversation, saisie au hasard, entre deux anciens Castellarencs, a fait ressurgir le nom premier, en dialecte, de ce quartier : ‘l’« Impienaïa ». Euréka ! L’éthymologie est claire : le lieu « rempli », remblayé, comblé.
On peut donc avancer l’hypothèse, conforme à ce que suggère la photo-satellite, d’une configuration topographique bien différente au 15e siècle de l’actuelle. Au « confluent » de l’amont du vallon du Bertrand (s’écoulant vers le Fossan) et de l’aval du vallon de Canta Merlo (s’écoulant vers le Careï) a dû exister une zone où des replis de terrain, des fossés, etc… assuraient en contre-bas de la pente abrupte du Bastion et de l’actuelle « piste des Américains », une défense naturelle dissuasive complétant, au Nord, l’aspect d’îlot forteresse du plateau St Sébastien. Est-ce en devenant au fil des ans, un dépotoir ou à la suite d’une action plus volontariste que se constitua là peu à peu d’abord un sentier, puis un étroit chemin, progressivement élargi jusqu’à nos jours ? Impossible de répondre en l’absence de documents.
En ce qui concerne le noyau d’habitation lui-même, il convient de distinguer deux périodes.
Du 15e au 16e siècle, c’est à dire durant la phase de construction, un texte bien connu de P. Gioffredo (Storie delle Alpi Maritime, Turin, 1839, p.116) nous renseigne sans laisser la moindre place à l’ambiguïté : « … les habitants du Vieux-Castellar…s’engageaient à bâtir… vingt-neuf maisons…fortifiées (incastellate), constituant une forteresse par leurs seules murailles. » Il s’agit là d’une technique répandue dans la région qui consiste, tout en renforçant à sa base le mur extérieur des bâtiments, à n’admettre aucune ouverture jusqu’à une hauteur suffisante. A Castellar, ce procédé a dû prédominer à l’Ouest. A l’Est, la présence de la Torre, de l’espace dénommé « Darrière » ne permet pas d’imaginer l’aspect primitif du lieu pas plus que celui du promontoire du Bastion qui porte pourtant un nom explicite ; Plus tard, on peut admettre que les choses ont changé avec la double extension du village vers le Sud (habitations, cf. la maison de Stefano Gaziello de 1570) et vers l’Ouest (granges). Si fortifications – au sens de murailles, tours, etc.…- il n’y a jamais eu, c’est plutôt vers cette époque qu’elles ont pu apparaître.
Ainsi, au Nord, l’actuelle porte (sans doute renforcée en 1548 à la suite de la menace franco-barbaresque mais très probablement antérieure) a pu constituer une solution de rechange à la disparition progressive de l’obstacle naturel « remblayé », en contre-bas. On a, d’autre part, émis l’hypothèse que l’abside actuelle de l’église St Pierre (une église alors plus « courte » et orientée différemment) aurait pu être une tour d’angle marquant l’une des extrémités d’un dispositif ceinturé. Enfin, au-dessus de l’actuelle Avenue Asso, l’espèce de tour carrée dont au moins la base est ancienne, pourrait avoir fait partie de ce dispositif.
Tout le reste n’est plus conjecture : la tour (à géométrie variable !) sur la place, à l’angle de la rue du Lavoir, d’origine inconnue, de même que la « tourette » de la rue Arson que de bons spécialistes datent seulement du 18e siècle, qu’une décision municipale assortie d’un vote de crédits avait vouée à la destruction et… qui est toujours là. Un seul document – énigmatique – mentionne spécifiquement des « fortifications ». On apprend ainsi que durant la Guerre de Succession d’Espagne (qui opposait les « Gallispans » - franco-espagnols – aux Sardes et aux Autrichiens), Castellar se trouva à trois reprises sur la ligne de front. Le 14 juin 1747, le Marquis de Las Minas, commandant des troupes gallispanes, décide de « porter un corps de troupes sur Castellar » dont « il fait raser les fortifications » ; Occupé un moment par les Français, repris en août par les Sardes, le village est reconquis le 18 octobre par les Espagnols.
Que s’est-il passé exactement et que faut-il entendre par « fortifications » ? Hélas, aucun texte accessible à ce jour ne permet de répondre à ces questions. L’Etat de guerre ayant duré deux ans, s’agit-il d’un dispositif défensif d’occasion, érigé dans l’urgence et démantelé après avoir été débordé ou d’un appareil construit auparavant et pour durer ? La première hypothèse semble plus convaincante que la seconde. Quoiqu’il en soit en l’absence de fouilles, nous n’en saurons sans doute jamais rien. D’ailleurs les bouleversements topographiques des 19e et 20e siècles là même où des vestiges auraient pu subsister (ouverture de la départementale, aménagement de la « montée du Moulin à huil », etc…) risquent d’avoir fait disparaître toute trace ancienne si tant est qu’il en fut. L’Historien doit apprendre à gérer ses frustrations.
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